Relire 8 ans comme délégué national ATD Quart Monde France

Recevoir la confiance et la redonner. Article de Feuille de Route Quart Monde. Juillet 2014

Après huit années comme Délégué national, Bruno Tardieu passe le relais à la nouvelle équipe.
D’où vient l’énergie que vous avez déployée pendant huit ans ?132_0200

On ressent une sorte d’honneur du fait que les familles très pauvres font confiance à notre Mouvement et à sa Délégation nationale. Nous héritons de la confiance qu’elles ont accordée à Joseph Wresinski parce qu’il avait la même expérience qu’elles de la misère. Leur confiance et leur courage donnent des ailes et créent de grandes exigences. C’est aussi avec une grande confiance que je passe le relais à la nouvelle équipe.

Comment concevez-vous le rôle de la Délégation nationale ?

Le risque est de devenir des décideurs. Je pense que le rôle de la Délégation nationale est en réalité plus de convaincre et de créer des accords que de décider. Créer un pouvoir d’agir collectif demande à tout le monde de bouger. C’est passionnant du point de vue de notre démocratie et de notre avenir à tous. J’ai été très ému pendant ces huit années de voir certaines personnes arriver à penser ensemble. Bien qu’elles soient en opposition sur des questions fondamentales, elles se retrouvaient autour de la conviction qu’exclure l’autre est contre nature. Continuer la lecture

L’emploi conçu comme un droit

Pourquoi le Mouvement ATD Quart Monde a-t-il choisi de lancer ce projet « L’emploi conçu comme un droit » ?

Parce que le chômage est considéré comme une fatalité et que le Mouvement ne cède jamais au sentiment de fatalité. Parce que les expériences ont montré que les gens considérés comme inemployables ne l’étaient pas. Nous l’avons expérimenté en particulier à TAE (Travailler et Apprendre Ensemble, projet pilote d’ATD Quart Monde) mais aussi dans d’autres lieux et dans l’histoire du Mouvement. Nous lançons aussi ce projet parce qu’un certain nombre de personnes se sont mobilisées autour de ce projet, personnes qui étaient vraiment motrices :on avait donc pas seulement l’idée mais aussi des porteurs de l’idée. Enfin, d’une manière assez lointaine, globale, on pensait qu’il ne fallait pas laisser la question du chômage en dehors des actions-recherche du Mouvement et il s’agissait d’innover. Continuer la lecture

Comprendre les mécanismes de l’exclusion avec ceux qui la vivent

Voici la tribune publiée dans le quotidien La Croix du 5 mars 2013, que j’ai cosignée avec Bruno Lachnitt, directeur de la Mission régionale d’information sur l’exclusion Rhône-Alpes (MRIE), Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble, chargé de l’action sociale et familiale, vice-président du CCAS de Grenoble, et Philippe Warin, directeur de recherche CNRS, de l’Odenore (Observatoire du non-recours aux services et aux droits).

Le droit au logement opposable (Dalo) permet à tout ménage privé d’un logement décent d’obtenir un relogement si sa demande est jugée recevable. Pourtant, 10 % des ménages ayant reçu une offre de relogement dans ce cadre la refusent. Aberrant ? Un million et demi de travailleurs pauvres ont droit à un complément social de l’ordre de 120 € en moyenne par mois (le « RSA activité »). Continuer la lecture

Refonder l’école de la République : avec qui ?

Tribune publiée le 16 octobre 2012 dans le quotidien L’Humanité

En France, naître dans la pauvreté augmente les risques d’échouer à l’école. C’est une des plus grandes violences faite aux pauvres. Est-ce une fatalité ? Non. La plupart des pays développés font mieux que la France.

C’est pourquoi 12 organisations1 d’enseignants, de chefs d’établissement et de parents, y compris des parents vivant la grande précarité, ont travaillé toute l’année dernière pour aboutir à une plateforme citoyenne : « construire ensemble l’école de la réussite de tous2».

Ce travail a transformé les conflits entre les enseignants et les parents des milieux populaires, catastrophiques pour les enfants, en une alliance qui oblige le système à se questionner. La démarche3 a montré que les parents en situation de précarité sont des partenaires indispensables pour refonder l’école et permettre la réussite de tous les enfants. Continuer la lecture

Du penser pour l’autre, au penser avec l’autre

Ce texte est ma participation à l’ouvrage Tous fragiles, tous humains, publié par les éditions Albin Michel en 2011. Voir aussi http://fragilites-interdites.org

Pour comprendre la fragilité, il faut un engagement. Il faut cesser de vouloir être neutre, purement objectif. L’engagement, c’est l’implication, la passion ; c’est ce qui naît du mouvement intérieur, l’élan qui, s’il est durable, devient une fidélité, un attachement fort à une valeur, à des personnes ou à un groupe de personnes.

Une démarche nouvelle

Face au vieillissement, au handicap, aux souffrances psychiques ou à la grande pauvreté, nos sociétés occidentales modernes mesurent leur degré d’inhumanité. Quand notre civilisation occidentale a le sentiment de ne plus maîtriser et d’être devant l’incertain, elle ne sait pas comment faire, comment penser, comment être. Les personnes qui vivent ces situations extrêmes soulèvent chez chacun de nous un mouvement profond, entre rejet et besoin de comprendre et de se lier ; mais dans le même temps, elles sont traitées par notre culture et nos organisations comme des problèmes confiés à des spécialistes qui sont priés de les résoudre hors de notre vue. Erasme l’une des figures du nouvel humanisme de notre ère moderne fut aussi le premier à vouloir rationaliser la question de la misère en suggérant l’interdiction de la mendicité et du vagabondage, et la création de maisons de travail forcé. Les autorités de certaines villes d’Europe commencèrent à marquer au fer rouge les contrevenants et parfois même aussi ceux qui les hébergaient1. En se libérant de l’idée d’un monde entièrement expliqué par Dieu, les hommes – quelques hommes en fait – ont développé le vertige de la maîtrise : maîtrise des choses, de la nature et aussi des autres hommes, pouvant aller jusqu’à la destruction. Pouvons-nous dépasser ce rêve d’être maître de tout, et apprendre non plus à maîtriser mais à vivre avec la nature et avec les autres hommes ? Continuer la lecture

Le gouvernement doit introduire le « racisme anti-pauvre » dans la loi

Voici la tribune que j’ai publiée sur www.rue89.com le 20 septembre 2012.

« Quand je vais à la mairie toute seule pour demander un logement, on me traite mal. Si j’y vais avec quelqu’un d’ATD Quart Monde, on me traite bien, il y a un truc quand même », expliquait Gaetane Lanciaux lors de l’audition d’ATD Quart Monde par le Comité consultatif de la Halde [Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité], en septembre 2010.

A la suite de cette audition, la Halde, avant de passer le relais au Défenseur des droits, a « recommandé au gouvernement de mener une réflexion sur l’intégration du critère de l’origine sociale dans la liste des critères prohibés et sur les modalités de prise en compte des préjugés et stéréotypes dont souffrent les personnes en situation précaire ». Il appartient donc désormais au gouvernement de prendre position sur cette question. Continuer la lecture

Au pied du mur. Quand la misère devient une question de Droits de l’Homme

Ma contibution au rapport 2012 de la MRIE (Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion en Rhône-Alpes – www.mrie.org).

La MRIE naissait au moment où le Rapport Wresinski au Conseil Economique et Social sur « Grande Pauvreté et Précarité Economique et Sociale » commençait à montrer sa puissance. Pour la première fois, un rapport officiel d’une assemblée constitutionnelle abordait la question de la grande pauvreté, non pas en termes caritatifs ou de mesures d’aide aux pauvres mais en termes de droits de l’homme, introduisant une « révolution » lente qui conduit l’ONU, après l’avoir prise en compte lors du sommet social de Copenhague en 1995, à proposer d’adopter fin 2012 en Assemblée Générale les « Principes directeurs de la lutte contre la pauvreté dans le cadre des droits de l’homme. »
« Révolution » parce que problématiser la misère en termes de droits de l’homme, en fait une question qui me concerne en tant que citoyen. En effet un droit qui n’est pas partagé par tous étant un privilège, les droits de l’homme supposent que chacun défende les droits de l’autre autant que son droit propre. Les droits de l’homme sont « les droits de l’autre homme »*. Continuer la lecture

Qu’attendent les jeunes qui rejoignent ATD Quart Monde ?

Contribution à une table ronde autour du rapport de Monseigneur Dagens sur les liens entre l’Eglise Catholique et la société Française

Vous avez souhaité inviter ATD Quart Monde pour votre réflexion sur votre place dans une société en difficulté, en recherche, qui semble a-religieuse ou dans une indifférence religieuse ; peut-être espérez-vous que les plus démunis, par l’intermédiaire de ce Mouvement qu’ils ont créé, peuvent vous éclairer sur notre société, et nous en sommes très touchés. Nous pensons en effet que les très pauvres ont une vision du monde, une vision qui n’est jamais sollicitée, qui manque à notre monde, une vision par le bas, et qui du coup regarde vers le haut, peut nous élever, nous redonner l’espérance.  C’était la conviction et l’expérience de notre fondateur le père Joseph Wresinski, né lui-même dans la misère, de cette misère qu’il nous expliquait parfois en disant : « Ma mère n’avait que des bienfaiteurs, elle n’avait pas d’amis. » Continuer la lecture

ATD Quart Monde, un tissu qui ne se déchire pas aux moments de crise

Éditorial du journal Feuille de route Quart Monde n°412, décembre 2011

Ce qui fait grandir les personnes et les fait tenir dans l’adversité, ce sont les liens. Des liens non pas de soumission, mais des liens libres et réciproques. Or la misère les brise sans cesse. Parce que vivre dans des conditions inhumaines divise. Et parce que ceux qui veulent aider manquent parfois de délicatesse et risquent alors de fragiliser encore plus les liens de la personne, de sa famille, de son milieu « pour l’en sauver ». Une vie de ruptures de tous les liens, c’est cela la misère : on perd ses mots car on n’a plus à qui parler, on perd sa confiance car on n’a plus avec qui l’exercer.

Notre action, celle d’ATD Quart Monde, peut se mesurer aux ruptures évitées alors qu’elles semblaient inévitables. Continuer la lecture