Culture et création, osons le chemin de la rencontre.

De droite à gauche : J. M. Lucas ; G. De Coster ; T. Bouniol ; M. Poinsot
Palais de la Porte Dorée 2017
Crédit ATD 2017

Une table ronde a lancé la journée organisée par le réseau Culture au musée national d’histoire sur l’immigration le 30 mai 2017, nous vous proposons un extrait de l’intervention de Geneviève De Coster, qui est actuellement représentante du mouvement ATD Quart-Monde  à la Commission nationale des Droits de l’Homme.

J’ai fait mes premiers pas au sein du mouvement ATD Quart Monde, il y a 35 ans, en allant lire des histoires dans la rue d’un quartier où la vie matérielle et sociale était dure. Je n’avais pas conscience de la chance qui m’a été donné en me confiant cette mission, d’entrer en relation avec des personnes que je n’aurais jamais rencontrées autrement. J’ai rencontré là des enfants de toutes origines et grâce aux livres, ils m’ont raconté d’où ils venaient, ce que leurs parents racontaient de leur vie, de leurs pays, etc…

A travers cette mission, j’ai compris que l’accès aux droits, qui pour moi était une évidence, quelque chose qui arrivait tout naturellement, était pour d’autres un combat de tous les instants.

Par la suite, j’ai pris conscience du lien indissociable entre la culture et les droits de l’homme. J’ai compris que non seulement la culture faisait partie intégrante des droits de l’homme, mais aussi qu’elle était la clef de l’accès aux autres droits, si on ne veut pas être dépendant des autres.

J’ai compris pourquoi ce mouvement de lutte contre la pauvreté, qui se bat pour le respect de la dignité de chacun, mettait la culture au cœur de son combat.

En introduction, je dirais que pendant longtemps, on a traité les questions de pauvreté sous l’angle de l’assistance ou de la charité, au mieux sous l’angle des politiques sociales.

Or contrairement à ce qu’on pense souvent, la misère n’est pas seulement socio- économique.

Elle est liée au manque de relations, de pouvoirs, de participation ou encore de responsabilité réelle dans la vie publique. Elle est liée à la négation des références culturelles et des capacités. En cela, elle constitue une atteinte à la dignité humaine.

L’expérience de la pauvreté de Joseph Wrésinski, fondateur d’ATD Quart Monde, l’a amené à convaincre au plus haut niveau, la Commission des droits de l’homme de l’ONU, mais aussi nombre d’instances internationales et nationales, que la pauvreté était une violation des droits de l’homme.

Ça veut dire que pour venir à bout de ce fléau, il ne suffit pas de créer des dispositifs pour combler des manques, mais de considérer la misère en termes de violation des droits de l’Homme et donc de répondre aux droits des individus.

Ainsi le directeur des Droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Pierre Henri Imbert disait de Joseph Wrésinski : « il m’a aidé à mieux comprendre comment fondamentalement, les droits de l’homme sont le droit d’être un homme, et surtout que ce n’est pas pour le respect des droits qu’il faut se battre mais pour le respect des personnes privées de ces droits, car chaque droit doit avoir pour nous un visage ».

Le titre de ce colloque « osons la rencontre » prend ici tout son sens et la piste que vous proposez « culture et création » est fondamental.

Mais une fois qu’on a dit ça… Comment on fait sur le terrain ?

Comment oser évoquer la culture quand les gens n’ont pas à manger ? Quand ils ont froid ? Quand la recherche de nourriture ou de mise à l’abri prend toute la place dans nos vies ?    Face à des situations tellement insupportables et urgentes.

A cette question, seules les personnes qui vivent où ont vécu ces situations peuvent répondre.

Ce qu’elles nous disent avec force, c’est que personne ne peut construire un projet s’il a faim, mais personne ne peut rester debout seulement parce qu’il est nourri.

(Mme F.) « La pauvreté c’est souvent quand on n’a pas d’argent, mais je trouve que le pire encore ce n’est pas de manger seulement du pain et du café, c’est de regarder la vie passer et de ne pas être dedans. »

Ce n’est pas simple pour ceux qui n’ont pas connu la misère de dépasser ce premier réflexe qui serait d’apporter une aide matérielle, et ne pas se laisser happer par l’urgence.

L’essentiel est de donner aux personnes exclues les moyens de surmonter les obstacles, de se battre pour leurs droits, de chercher en chacune d’elle les ressources pour se battre par elle-même. Ça demande du temps, de la stabilité, de la résilience. D’un côté, les « exclus » devront surmonter le rejet vécu, l’humiliation, la honte, qui sont autant d’expériences qui ont participé à leur exclusion et de l’autre, les « excluants » devront surmonter leur peur, leur méconnaissance, le risque d’être déstabilisés, d’être remis en cause.

Le temps de la rencontre, le temps de la connaissance, le temps du partage des savoirs est un temps incontournable, long, où il faut beaucoup de patience.

Heureusement, on a beaucoup d’exemples, où quand on a dépassé ça, qu’on a réussi à ne pas se laisser happer par l’urgence matérielle, on se retrouve face à l’essentiel : le respect de la dignité de chacun.

On a beaucoup d’exemples qui nous sont donnés par des personnes qui ont des vies très dures, qui nous confortent dans cette idée qu’il est légitime de mettre les droits culturels au même plan que les autres droits, de ne pas les hiérarchiser.

– Ni une hiérarchie entre les droits eux-mêmes, comme si le droit au logement par exemple primait sur le droit à la culture,

– Ni une hiérarchie entre les gens, comme si pour certains, parce qu’ils sont pauvres, on tolèrerait une marge de manœuvre, une obligation de résultats à minima « mieux que rien », … et le droit à la culture serait celui qui vient en dernier.

Dimanche matin à la radio, j’ai entendu un de nos grands essayistes-philosophes demander qu’on arrête de pleurnicher car contrairement à ce qui se dit, la pauvreté dans le monde a beaucoup reculé.

Pour dire cela, il prend comme référence le seuil de pauvreté à 1,90 dollar.

Si on gardait en mémoire que la dignité est la pierre angulaire des droits de l’homme, et que ça vaut pour chacun de nous, non pas parce qu’il est de tel pays, de telle origine, de tel quartier, de telle couleur, mais parce qu’il est un humain, on ne pourrait pas réduire la question de la pauvreté à une question monétaire.

J’ai une dernière interrogation : Si l’art est un moyen d’entrer en relation, de surmonter les peurs, de nous transformer, si l’accès à la culture permet à chacun de nous de revendiquer ses droits et de les rendre effectifs, comment s’y prend-on pour n’oublier personne ? Comment s’y prend on pour partager nos cultures, pour ne pas se priver de celle de ceux qu’on n’a pas l’habitude d’entendre et qui pourtant portent en eux la culture de l’entraide, de la résistance, de l’énergie pour se battre en dépit de conditions inhumaines par exemple…

Comment va-ton aller à la rencontre de ceux dont on ne voit pas ce qu’ils peuvent nous apporter parce que la misère ou l’exclusion ne sont pas des expériences valorisantes à nos yeux, ou plus crument parce qu’on pense qu’ils n’ont pas leur place parmi nous. Ceux dont l’histoire n’a jamais été écrite, du moins par eux-mêmes… dont l’histoire est invisible… et qui n’existe pas.

Pour finir, je reviens à ma mission actuelle au sein de la CNCDH qui se bat pour l’effectivité des droits pour tous. L’effectivité des droits, c’est aussi comment les droits sont concrets dans la vie des gens. Ils sont concrets s’ils correspondent à la réalité de leur vie.

Si on ne tient pas compte de la dimension culturelle de chaque droit on va faire des erreurs. Que serait le droit au logement si on ne tient pas compte des modes d’habitat. Que serait le droit à l’éducation, si ce n’est une éducation de qualité qui tient compte de la langue, de l’histoire, de l’environnement de chacun. Que devient le droit à l’alimentation si on ne peut pas nourrir sainement sa famille, le droit à la santé, si on ne peut pas préserver son intégrité physique etc…

En conclusion, je dirai que la défense des droits est une chose, mais la seule manière de garantir l’effectivité de tous ses droits c’est d’être reconnu, de connaitre l’autre, c’est de pouvoir exister dignement parmi les siens. En ce sens, la culture partagée est la voie incontournable.

 

Genneviève De Coster, mai 2017