Interview d’Anne Thomas qui a été avocate au barreau de Paris pendant 28 ans ainsi que Yolande Roussellier avocate au Barreau de Paris pendant 26 ans.
Elles sont toutes les deux alliées à ATD Quart-Monde depuis 10 ans.

photo Yolande et Anne

En tant que nouvelle bénévole à ATD,  je voyais souvent Anne et Yolande dans leur bureau, ouvrir, fermer des dossiers, consulter des livres, téléphoner, recevoir des personnes pendant de longues heures. Intriguée par toute cette effervescence, je suis allée leur demander en quoi consistait leur travail :

Anne: « Nous travaillons essentiellement sur la problématique du droit au logement et de l’application de la loi Dalo».

Yolande :« J’aide à présenter les dossiers Dalo et à suivre la procédure d’injonction devant le tribunal administratif».

Pouvez-vous me rappeler ce qu’est la loi Dalo ?
Yolande : «Le Droit au Logement Opposable dit loi Dalo est une loi qui vise à garantir l’application du droit fondamental au logement et donc à accélérer son attribution.»

Depuis quand êtes-vous impliquées dans cette lutte pour le Droit au logement ?

Anne : « Depuis le vote de la loi Dalo (Droit Au Logement Opposable) en 2007. J’avais participé à une réunion sur le logement, présidée par Paul Bouchet*, un homme d’un grand charisme. Après l’avoir entendu dire « On s’est battu pour cette loi, maintenant il faut la faire vivre » je me suis engagée.

Et toi Yolande ?

Je pensais que c’était un domaine que je connaissais et où je pouvais être utile. Je suis choquée par le fait que certaines personnes n’aient pas de logement, ce qui suppose des difficultés à travailler et à s’occuper de leurs enfants. Je considère que la loi Dalo n’est pas assez appliquée et respectée, ou l’est, mais après de longs délais.

Comment avez-vous commencé ?
« Au début ce sont les mairies qui nous ont envoyées les personnes qui avaient besoin d’aide, maintenant c’est par le bouche à oreille qu’elles viennent pour des conseils, ou un soutien pour constituer leur dossier Dalo ».

Avez-vous rencontré des difficultés dans les démarches ?
« C’est parfois difficile. Les préfectures ne répondent pas, il faut alors les relancer. Lorsque les gens sont à la rue, il leur est difficile de retrouver tous les papiers administratifs dont ils ont besoin pour leur dossier et pour nous, de garder le contact  (changement de numéros de téléphone portable, de lieux de vie…). Le délai d’attente est trop long : souvent plus de 3 ans entre le moment où les gens sont déclarés prioritaires et l’obtention d’un logement ».

Qu’est-ce qui vous donne autant d’énergie pour continuer ce travail ?
« La rencontre avec les gens, l’urgence d’être logées pour les personnes qui n’ont pas de logement décent. Les dossiers Dalo nous permettent, non seulement de nouer des relations de confiance avec les familles mais aussi de les inviter à l’Université Populaire, aux ateliers peinture, chant, aux sorties culturelles, aux fêtes que nous organisons et de proposer à certaines d’entre elles des séjours de vacances à la Bise (maison de vacances dans le Jura) ».

Vous avez certainement accompagné beaucoup de monde. Quel est votre bilan ?

Anne: « Malgré le travail accompli, il reste encore beaucoup à faire. Ce qui nous pousse à continuer c’est qu’il y a encore trop de personnes mal logées ou pas logées. Nous te donnons l’exemple d’une famille que nous avons accompagnée dans sa demande de logement :
Un couple avec 3 enfants. Cette famille était prioritaire Dalo depuis 2011.
Ils étaient 5 dans un 22 m2 et payaient 700 € de loyer. La CAF  a supprimé l’allocation logement pour « sur-occupation ». Cela nous a paru complètement surréaliste. Nous avons écrit à la CAF puis au médiateur de la CAF puis au préfet de Paris Île de France. Après toutes ces démarches, la famille a obtenu un logement de 5 pièces en avril 2016, soit 5 ans après avoir été déclarée prioritaire. Juste après leur emménagement, la maman a pu s’inscrire à une formation d’agent hôtelier.
Depuis toutes ces années à ATD Quart-Monde, nous le voyons bien, Yolande et moi,  lorsque les gens ont un logement, ils peuvent alors s’investir dans la recherche d’un emploi, suivre des formations professionnelles.
Ils ont besoin d’un toit pour pouvoir penser à autre chose ».

Anne, tu m’as aussi dit que tu étais membre du CRHH (Comité Régional de l’Habitat et de l’Hébergement) qu’est ce que cela donne de plus à ton travail ?

« Le fait que je représente ATD Quart-Monde au CRHH me permet de faire remonter les difficultés rencontrées par et avec les familles, les membres du CRHH étant souvent loin d’imaginer leur quotidien ».

Un travail passionnant, exigeant et gratifiant. Comme Yolande et Anne l’ont mentionné, un logement décent est la base pour une vie digne. Lorsque l’insécurité de la rue n’aspire plus toute l’énergie, alors, les personnes sont en mesure de « respirer ». Pour que ce travail puisse continuer, nous avons besoin d’autres qui s’investissent. Peut-être vous …

Interview réalisée par Phuc HOANG

* Paul Bouchet est un avocat français, né en 1924, conseiller d’État honoraire. Président du mouvement ATD Quart-Monde de 1998 à 2002, actuellement président d’honneur.