J’ai mangé des clowns

Crédit: Claude Niedergang pour ATD

Dès le matin, Claude saute hors du lit et pin pan pon… Il fonce à Autremonde, ou l’Ordre de Malte ou ATD Quart monde. « Lorsque je me lève le matin, je n’ai pas la tête dans les godasses ».

Et pourtant, il revient de loin. Il s’est engagé vers l’âge de 33 ans, alors qu’il vivait dans la rue. Il a commencé par faire les maraudes. « Lorsque je fais les maraudes, je délire avec les bénévoles, je discute avec les personnes à la rue, comme je connais bien le monde de la rue, les endroits où manger, où déjeuner, je peux renseigner, conseiller. J’ai un agenda dans le cerveau, c’est phénoménal, même les camions qui distribuent les repas, je les connais par cœur, je sais quel jour, quelle heure et où ils sont. Je garde de bons contacts avec tous les bénévoles, ils continuent à m’appeler ».

Lorsque je lui demande pourquoi il s’est engagé autant, il me répond que c’est sa manière de les remercier pour tout ce qu’ils ont fait.

Claude aime bien me raconter comment il vivait, « dans son autre vie ». « Je traînais mes guêtres à Châtelet. Le secours catholique proposait du café le soir. J’ai connu un autre homme qui m’a proposé de dormir dans les trains. On dormait dans le RER D, on faisait la ligne jusqu’à Corbeil Essonne, puis on repartait en sens inverse. C’était ça notre vie commune, on faisait des allers-retours toute la nuit jusqu’à 10h du matin. Lorsqu’il y avait les trains gris, on s’y mettait et on faisait les allers-retours, parfois on jouait au tarot. D’autre fois, on allait à l’hôpital Salpêtrière, on rechargeait notre téléphone, on pouvait boire un café, on jouait au tarot. Cet homme est devenu mon parrain. J’ai longtemps dormi dans une tente. Ma tente, c’était une vraie forteresse, je me méfiais de tout le monde, personne ne savait que je vivais là.

En 2010, j’ai bénéficié du plan Igloos (plan hivernal solidaire), grâce à la paroisse Saint Etienne du Mont, j’ai dormi dans la salle paroissiale pendant trois mois avec huit autres personnes et deux bénévoles. C’était très compliqué pour moi la collectivité, de vivre en groupe, d’avoir un règlement, des heures à respecter. Le samedi matin, il y avait des petits déjeuners (ouvert à tous). C’est là que j’ai connu Laure. Ma rencontre avec elle fut au début un peu électrique. Elle était venue servir le café, je lui ai demandé du sucre et elle m’a lancé un morceau, je lui ai dit que j’allais lui mettre un « coup de poêle » dans la gueule. Puis Lakshmi a débarqué, elle est très calme, et ça a calmé le jeu.

Elles ont tout supporté de moi : elles m’ont emmené aux urgences, j’ai arraché les perfusions, elles ont cherché mon sac qu’on m’a volé à l’hôpital. Un jour, j’étais à Lille, j’ai fait une grave crise d’épilepsie, on m’a emmené en service réanimation. Laure est venue me voir à l’hôpital qui lui a demandé l’autorisation de me débrancher, mais elle n’a pas donné son accord. Et puis par miracle, je me suis réveillé, et me revoilà. Elles ont vraiment tout supporté, et elles ne m’ont jamais lâché. Nous nous appelons et nous nous voyons régulièrement. Je vais même au cours de danse de Laure et Lakshmi est devenue ma marraine.

Et puis j’ai connu l’Ordre de Malte, ils font des maraudes et des petits déjeuners à la paroisse Sainte Elisabeth (vers le métro Art et métier). J’ai décidé de faire des maraudes avec eux les dimanches matins. Un jour, l’Ordre de Malte m’a envoyé Marguerite et m’a demandé de l’accompagner dans la maraude. C’était une petite jeune, elle voulait tout savoir, elle posait toute sorte de question, j’étais fier de lui répondre, ça se voyait qu’elle avait vraiment envie d’aider, ça me donne envie aussi de continuer à faire les maraudes. J’aime rencontrer d’autres personnes, vu que j’ai connu la même situation, je connais, j’essaie de décontracter avec des blagues. Marguerite a aussi marqué ma vie. Il y aussi Élodie, Nina, Anne-Sophie et tant d’autres à Autremonde. Ils donnent de leur temps le soir, le dimanche alors qu’ils ne sont pas obligés et qu’ils sont peut être mieux chez eux, ils sont un exemple pour moi et j’ai voulu faire pareil.

A Autremonde, je fais la braderie qui a lieu chaque année à la mairie du 20ième, je charge les camions, je ravitaille les portants, je fais la sécurité. Je fais les collectes alimentaires au Casino. En fait, on donne des flyers aux clients avec une liste de produits dont on a besoin (lait, café, sirop, gâteaux…) et ils achètent ce qu’ils veulent, puis nous venons avec un camion récupérer ce qu’on nous donne. Je vais au café rencontre à la gare de l’Est le mardi soir et à la gare du nord le jeudi soir. C’est important pour moi, c’est pour éviter de me sentir seul, je parle avec les bénévoles, je délire avec eux, on discute de tout et de rien, ça me fait changer de discussion. Un jour un salarié m’a demandé si je cherchais du taf car il connaissait une association qui recherche des personnes pour faire visiter le quartier. On les a appelé et je suis allé à l’entretien le lendemain. Et j’ai commencé le lundi suivant. J’ai fait une formation d’éclaireur urbain. Et je fais visiter à des groupes le quartier du 13ième le week-end.

Et puis Laure m’a emmené un jour à ATD Quart Monde. J’ai mis du temps pour m’aventurer dans un truc comme cela. J’y allais quand elle y allait mais si elle n’y était pas, je ne venais pas. Petit à petit, je suis venu seul. J’ai commencé par écrire ma rencontre avec Laure et Lakshmi, puis Laure a proposé de le mettre en danse. On participerait ainsi aux « mille et une histoires » et on danserait au « village des initiatives pour une société autrement » le 14 octobre. Tous les mardis matins, on vient à la maison quart monde pour créer, inventer, imaginer et répéter notre danse, qu’on a présenté à la journée du réseau culture au musée de l’immigration. On m’a proposé de faire partie d’un groupe de préparation université populaire.

Toutes ces personnes que je rencontre, tout le monde me cherchait un logement, mais c’était toujours en foyer de réinsertion, en collocation, et moi, je ne peux pas vivre en foyer, ça me sort par les narines. J’avais fait un dossier logement, mais 10 ans après, je n’y croyais plus. Dans la rue, j’étais trop malade, je faisais tout le temps des crises d’épilepsie, parfois jusqu’à 4 par semaine. Quand tu es épileptique dans la rue, c’est chaud. Je me suis dit que je vais mourir. Alors je suis retourné voir mon assistante sociale.

En 2013, après 10 ans d’attente, on m’a proposé un logement, je suis très heureux mais chez moi, je me sens perdu, j’ai l’impression d’être coupé du monde, et si je ne viens pas à ATD, je joue à la console ou je dors. J’ai dû mal à entrer en contact avec les gens, je me méfie beaucoup. Là je vois d’autres personnes. Et puis, à ATD, il y a toujours quelque chose à faire, à raboter une porte, à nettoyer quand il y a des inondations, à préparer l’assemblée générale, aller chercher des livres à la librairie à Pierrelaye, aller à la déchetterie ou écrire … J’ai même fait une visite sur mesure « le merle enchanteur» de la butte aux cailles pour des personnes qu’ils recevaient des Philippines. Je viens parce que je sens que je rends service, comme ça si Floriane à des choses plus importantes à faire, elle peut le faire.

Ma mission sur terre c’est de faire le clown, de faire rire les gens pour les rendre heureux et de leur transmettre ce qu’ils ne savent pas de la rue que je connais trop bien. »

 

Interview de Claude Niedergang
par Floriane Caravatta
22 juin 2017