ATD Quart Monde, un tissu qui ne se déchire pas aux moments de crise

Éditorial du journal Feuille de route Quart Monde n°412, décembre 2011

Ce qui fait grandir les personnes et les fait tenir dans l’adversité, ce sont les liens. Des liens non pas de soumission, mais des liens libres et réciproques. Or la misère les brise sans cesse. Parce que vivre dans des conditions inhumaines divise. Et parce que ceux qui veulent aider manquent parfois de délicatesse et risquent alors de fragiliser encore plus les liens de la personne, de sa famille, de son milieu « pour l’en sauver ». Une vie de ruptures de tous les liens, c’est cela la misère : on perd ses mots car on n’a plus à qui parler, on perd sa confiance car on n’a plus avec qui l’exercer.

Notre action, celle d’ATD Quart Monde, peut se mesurer aux ruptures évitées alors qu’elles semblaient inévitables.

À trois ans, Stéphane vient d’entrer dans la classe passerelle. Il réussit bien. C’est un grand espoir pour ses parents. La maman a trois enfants plus grands placés. Les services sociaux interrogent la maîtresse afin d’évaluer le bon développement de l’enfant. « On avait confiance en elle, maintenant elle va nous juger », disent les parents. Ils ne veulent plus envoyer Stéphane à l’école. La maîtresse ne comprend pas. Deux volontaires permanents organisent une rencontre durant laquelle la maîtresse lit et donne le rapport qu’elle a adressé aux services sociaux. Il y est question du développement de l’enfant, qui s’ouvre petit à petit. Les parents n’en reviennent pas. Jamais on ne leur a lu un rapport concernant leur famille. Stéphane retourne à l’école. Sans tout le tissu de relations créées dans le quartier, il n’y retournait pas et les débuts positifs de sa scolarité étaient brisés.

Laetitia et sa famille ont la vie dure mais essaient de tenir bon. Il y a quelques semaines, elle tombe malade. Tuberculose, hospitalisation. Le papa pourra-t-il faire face tout seul et maintenir la vie familiale ? Les services sociaux en doutent. Ils pensent placer temporairement les enfants. Mais leur travail avec l’équipe d’ATD Quart Monde les a convaincus qu’un placement temporaire dans une famille très démunie est vécu comme une catastrophe et se transforme souvent en placement qui dure et en ruptures profondes. Des volontaires du Mouvement se proposent de soutenir le papa dans son rôle et de passer chaque jour voir la famille. Le placement est évité. La maman rentre. La vie dure continue, mais le tissu a tenu face à la crise.

Les ruptures sont rapides, les constructions de liens demandent un travail de longue haleine. Vous, lecteurs, faites partie de ce réseau qui doit tenir bon dans les moments de crises. Que ce mois de décembre et ces temps de fêtes soient l’occasion de renforcer ce tissu de respect et d’humanité pour que personne ne chute, seul.

Bruno Tardieu, Délégué national d’ATD Quart Monde France

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