Au pied du mur. Quand la misère devient une question de Droits de l’Homme

Ma contibution au rapport 2012 de la MRIE (Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion en Rhône-Alpes – www.mrie.org).

La MRIE naissait au moment où le Rapport Wresinski au Conseil Economique et Social sur « Grande Pauvreté et Précarité Economique et Sociale » commençait à montrer sa puissance. Pour la première fois, un rapport officiel d’une assemblée constitutionnelle abordait la question de la grande pauvreté, non pas en termes caritatifs ou de mesures d’aide aux pauvres mais en termes de droits de l’homme, introduisant une « révolution » lente qui conduit l’ONU, après l’avoir prise en compte lors du sommet social de Copenhague en 1995, à proposer d’adopter fin 2012 en Assemblée Générale les « Principes directeurs de la lutte contre la pauvreté dans le cadre des droits de l’homme. »
« Révolution » parce que problématiser la misère en termes de droits de l’homme, en fait une question qui me concerne en tant que citoyen. En effet un droit qui n’est pas partagé par tous étant un privilège, les droits de l’homme supposent que chacun défende les droits de l’autre autant que son droit propre. Les droits de l’homme sont « les droits de l’autre homme »*. Continuer la lecture

Qu’attendent les jeunes qui rejoignent ATD Quart Monde ?

Contribution à une table ronde autour du rapport de Monseigneur Dagens sur les liens entre l’Eglise Catholique et la société Française

Vous avez souhaité inviter ATD Quart Monde pour votre réflexion sur votre place dans une société en difficulté, en recherche, qui semble a-religieuse ou dans une indifférence religieuse ; peut-être espérez-vous que les plus démunis, par l’intermédiaire de ce Mouvement qu’ils ont créé, peuvent vous éclairer sur notre société, et nous en sommes très touchés. Nous pensons en effet que les très pauvres ont une vision du monde, une vision qui n’est jamais sollicitée, qui manque à notre monde, une vision par le bas, et qui du coup regarde vers le haut, peut nous élever, nous redonner l’espérance.  C’était la conviction et l’expérience de notre fondateur le père Joseph Wresinski, né lui-même dans la misère, de cette misère qu’il nous expliquait parfois en disant : « Ma mère n’avait que des bienfaiteurs, elle n’avait pas d’amis. » Continuer la lecture

La boucle action-connaissance-engagement

Un chapitre du livre Penser et agir en complexité, avec Jean-Louis Le Moigne
(sous la direction de Dominique Genelot et Marie-José Avenier, Éd.  L’Harmattan, 2012)

Bruno Tardieu – Délégué national ATD Quart Monde France, 10 Aout 2011

Pour voir l’intervention en vidéo.

Merci aux organisateurs de cette journée de me permettre de retrouver Jean-Louis Le Moigne aujourd’hui et de retrouver ceux qu’il m’a fait rencontrer au fil de ces 15 ans, grâce au réseau qu’il a construit. C’est une joie de voir que dans cette salle beaucoup de gens ont collaboré avec le Mouvement ATD Quart Monde d’une façon ou d’une autre, et ont ainsi contribué à la lutte contre l’exclusion sociale grâce à lui et aux liens intellectuels et humains qu’il a créés.

ATD Quart Monde a identifié que la lutte contre la misère était également la lutte contre « l’exclusion sociale », un terme créé dans les années 70 par Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Cela rejoint une des notions principales de Jean-Louis Le Moigne : pour comprendre un phénomène, il faut le contextualiser. Pour approcher une compréhension de la persistance de la misère dans des pays riches comme le nôtre, il fallait la situer dans les relations sociales et montrer qu’elle est à la fois cause et conséquence d’un rejet social : la misère est entre nous, elle n’est pas le problème de certains ; c’est une réalité perçue différemment par ceux qui la vivent et par les autres, ce qui nous sépare, c’est une apartheid sociale. Continuer la lecture

Comment lutter efficacement contre la pauvreté ? Émission Le Grain à moudre, France Culture, 12 mars 2012

Le 12 mars 2012, en pleine campagne électorale, j’ai participé à cette émission animée par Hervé Gardette, aux côtés de Nicolas Duvoux, sociologue, auteur de Le nouvel âge de la solidarité : pauvreté, précarité et politiques publiques, et de Catherine Herszberg, écrivain, auteur de Mais pourquoi sont-ils si pauvres ? Voyage dans la France en crise.

La question posée était celle de l’action politique et citoyenne pour contrer la pauvreté et l’exclusion et du regard que les politiques et les citoyens portent sur les pauvres. J’espère que l’émission vous intéressera. N’hésitez pas à réagir en déposant un message ci-dessous.

Écoutez et/ou téléchargez l’émission « Comment lutter efficacement contre la pauvreté ? ».

Le « community organizing » et les très pauvres

Lors d’une rencontre « Pouvoir d’agir » le 16 mars 2012 à Vaulx-en-Velin sur le pouvoir d’agir citoyen, nous avons beaucoup travaillé sur un penseur américain, Saul Alinsky, qui a apporté aux États-Unis une manière d’agir qui consiste à ce que les gens s’unissent afin de se battre pour un problème commun. Il a réussi à ce que des gens d’ethnicités différentes luttent pour des problèmes communs et ne raisonnent pas uniquement en termes ethniques.

ATD Quart Monde s’est joint au collectif « Pouvoir d’Agir », invité par les centres sociaux avec qui on est partenaire dans le projet national « En associant leurs parents, tous les enfants peuvent réussir » qui concerne 23 quartiers. Pour vivre la démocratie, il faut que les gens se parlent, se rencontrent, réfléchissent ensemble, pas juste attendre tous les cinq ans pour mettre un bulletin de vote. Le collectif Pouvoir d’Agir a rédigé un appel puis un manifeste et il a organisé des journées de travail à Vaulx-en-Velin, où il y a eu beaucoup de monde. Le centre de ces journées était, autour de cet homme Saul Alinsky, ce qu’on appelle aux Etats-Unis le « community organizing ». Continuer la lecture

« Développer la co-responsabilité entre parents, enseignants et jeunes » (intervention le 12 mars 2012 aux Rencontres pour la jeunesse en difficulté organisées par les Apprentis d’Auteuil)

Le 12 mars 2012, « Les Rencontres pour la jeunesse en difficulté » étaient organisées par les Apprentis d’Auteuil au Conseil Économique, Social et Environnemental. Je suis intervenu lors du débat « Parentalité : quel accompagnement pour les familles ? » pour dire l’importance d’associer les parents défavorisés dans une vraie co-responsabilité dans l’éducation de leurs enfants.

On constate malheureusement que des interventions de professionnels dans la vie des familles très pauvres accentuent les ruptures de liens. Nos interventions devraient au contraire renforcer les liens familiaux. Car certains parents se trouvent dans une grande fragilité, pour avoir eu souvent eux-mêmes très peu de soutien dans leur enfance.

C’est pourquoi ATD Quart Monde demande aux professionnels de se co-former avec des familles défavorisées, afin d’apprendre à se comprendre. Les travailleurs sociaux en ont assez de contrôler les familles en difficulté. Il y a besoin de séparer les missions de contrôle et les missions de soutien à la parentalité. Lorsque les travailleurs sociaux qui soutiennent les familles ont aussi une mission de contrôle, celles-ci ne leur ouvrent plus la porte. Et l’on rajoute alors encore plus de contrôle.

Nous demandons aussi à tous les citoyens d’arrêter le cercle vicieux de la stigmatisation des personnes de milieux défavorisés.

Plusieurs actions pilotes du Mouvement ATD Quart Monde développent la co-responsabilité éducative des parents défavorisés : la pré-école, les vacances familiales, les actions avec l’école…

Si l’on considère les parents défavorisés comme partenaires et non comme des personnes dont il faut se méfier, on retrouve des spirales positives.

ATD Quart Monde, un tissu qui ne se déchire pas aux moments de crise

Éditorial du journal Feuille de route Quart Monde n°412, décembre 2011

Ce qui fait grandir les personnes et les fait tenir dans l’adversité, ce sont les liens. Des liens non pas de soumission, mais des liens libres et réciproques. Or la misère les brise sans cesse. Parce que vivre dans des conditions inhumaines divise. Et parce que ceux qui veulent aider manquent parfois de délicatesse et risquent alors de fragiliser encore plus les liens de la personne, de sa famille, de son milieu « pour l’en sauver ». Une vie de ruptures de tous les liens, c’est cela la misère : on perd ses mots car on n’a plus à qui parler, on perd sa confiance car on n’a plus avec qui l’exercer.

Notre action, celle d’ATD Quart Monde, peut se mesurer aux ruptures évitées alors qu’elles semblaient inévitables. Continuer la lecture

Que peut l’école contre la grande pauvreté ?

Emission Questions d’éducation – France Infos – 17 octobre 2011

17 octobre, c’est la Journée mondiale du refus de la misère. Avec cette année pour thème « Quelle école pour quelle société ? »

La question du jour de l’émission « Questions d’éducation » : « Que peut l’école contre la grande pauvreté ? » Pour en parler, Emmanuel Davidenkoff interroge Bruno Tardieu, délégué national d’ATD Quart Monde.

Quelle école pour quelle société ?

Intervention de Bruno Tardieu, délégué national d’ATD Quart Monde au débat autour de l’Appel « Dans les quartiers, dans les villages, on veut l’école de l’égalité » à la Fête de l’Humanité, 17 septembre 2011.

Le Mouvement ATD Quart Monde a toujours été un Mouvement qui visait non pas à aménager ou à soulager de la misère, mais à la libération de la misère : la libération de chaque personne, la libération collective du peuple du Quart Monde, et la libération de la société elle-même de cet apartheid moderne qu’est la grande précarité. Et pour cela le Mouvement a toujours mis en avant l’éducation par des jardins d’enfants, des bibliothèques de rue au pied des tours ou des clubs du savoir pour les jeunes, des universités populaires avec les adultes. ATD Quart Monde fait cela parce que la population au milieu de laquelle les volontaires vivent ne cesse de le dire : ce qu’ils veulent le plus c’est que les enfants et les jeunes ne passent pas par où ils sont passés, que la misère ne se transmette pas encore à une autre génération, qu’on puisse briser la chaîne. Continuer la lecture